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ET SINON, TU FAIS QUOI DANS LA VIE ?


Hier, alors que mon mec et moi papotions gaiement avec une nouvelle rencontre à la sortie d’un formidable concert de musique africano-réunionaise, car oui, dans la Nièvre, on peut faire ça, j’ai vécu un moment de solitude qui me court après, plus encore que le type dont je vous parlais dans un précédent article. (voir ici pour ceux qui auraient commis l’impair de ne pas m’avoir encore lue). C’est ce fameux moment que nous avons tous déjà vécu au moins une fois, quand il s’agit de répondre à la question « et toi, tu fais quoi dans la vie ? ». Hier donc, à 18h34, latitude 47.2333, température de 13 degrés, ressenti à ce moment-là 78 degrés, l’enfer s’est ouvert sous mes pieds et j’aurais dû prier Notre-Dame pour le coup, ça m’aurait aidée :


- " Et tu fais quoi du coup dans la Nièvre ? Je veux dire, tu as trouvé un taff ?

- Je, euh, en fait, tousse tousse, je monte mon projet, je fais du modelage.

- Ah oui, genre quoi ?

- Genre en fait et ben euh je modèle en lien avec les femmes et leur intériorité intérieure pour qu’elles développent leur intérieur en introspection intérieure. Voilà.

- Alors j’ai rien compris.

- Ah. Oui ben en fait, raclement de gorge, joues rouges, transpire transpire, je crée des objets pour accompagner à la connaissance de soi.

- Ah ok. "


Merci à la personne qui n’a toujours rien compris d’avoir mis fin à mon calvaire et d’avoir aimablement changé de sujet pour aborder les températures de demie saison qui sont toujours trompeuses, oui mais en avril ne te découvre pas d’un fil ha ha ha.


Le désastre.


" Quand il s'agit de partager le sens de ma vie, y'a plus personne."

Jusqu’ici, j’étais plutôt douée pour masquer ma gêne face à cette question. Je donnais du concept agréable aux oreilles de chacun, peut être que personne n’y comprenait rien non plus, mais il y’avait des mots-clés forts et satisfaisants. Il suffisait de jouer à motus. On mélange les termes « responsable, communication, éducation, éditorial », et bingo, ça fait un métier totalement flou mais joli, qui assoit un statut, une intelligence et un potentiel haut salaire. Que demander de plus ? Allez hop, sujet suivant, comme ça je ne parle pas de moi et apparemment ça m’arrange. C’est fou, d’habitude, je suis une experte dans l’art de pondre des histoires passionnantes à base de tout ce que tu veux. Je suis capable de sortir des liens - logiques en plus ! - entre un poisson rouge, un carré vert, Mireille Matthieu et la déforestation, mais quand il s’agit de partager le sens de ma vie, y’a plus personne. C’est quand même dommage. « Ah bah comme on dit hein, les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés. » nia nia nia. Si c’est pour me sortir des banalités, toutes faites en plus, passez votre chemin, on philosophe ici.


Attendez, quoi que, ça m’intéresse votre banalité. Ca ouvre sur une première piste de réflexion pour décortiquer cette affaire. En écrivant, je me rends compte que j’ai grandi en mettant un point d’honneur à être différente. Originale. Et parfaite de préférence. Alors à la question fatidique, je ne vais pas juste répondre « je fais du modelage dans ma cuisine et je garde mes mômes ». Ca va pas non ? Comment tu veux épater la galerie avec un truc pareil ? Il faudrait au moins que j’y expose, dans la galerie, que je puisse dire « j’organise le vernissage de mon expo dédiée aux symboles spirituels et à l’introspection dans une ancienne grande réhabilitée en atelier pour les jeunes artistes prometteurs de la région. » Ca ça a de la gueule. Enfin, moi je trouve que ça a de la gueule, apparemment. Notre société aussi, qui se nourrit de concepts et de paillettes, et moi je choisis de continuer à y croire. Mon petit (gros) ego aime bien cette histoire. Il se roule dedans. Et mon Soi, mon joyau intérieur, il crève tranquillement en attendant que Mister Hide se la boucle. « En prendre conscience c’est déjà un pas. » Oui bon, vous n’allez pas me sortir toutes les phrases que vous avez lues dans psycho-magazine, merci.


« Les concepts, c’est des piquets pour les ânes ».

Si vous m’écoutiez au lieu de vouloir me consoler, je pourrais vous dire que je prends conscience d’ autre chose. Si je n’arrive pas à dire ce que je fais, c’est parce que je ne sais pas ce que je fais. Qui a dit « elle va vraiment pas bien » ? Si tu attendais de lire la suite tu comprendrais que évidemment je sais ce que je fais mais sans savoir ce que je fais. C’est clair ? Je sais que je modèle et peins des statuettes. Je sais ce que je fais quand je le fais : je sais quelle couleur choisir, quelle forme donner, quel message retranscrire. Je sais aussi ce que chaque statuette représente et je suis capable de l’expliquer. Mais de tout ça, je ne sais pas quoi faire. Je tente d’en faire un projet, une idée géniale à vendre, un concept à promouvoir. Et si je ne faisais que faire ? Mais dans ce cas, je réponds quoi moi, avec ça, à la question tu fais quoi dans la vie ? Proposition : « Les concepts, c’est des piquets pour les ânes ». Ce n’est pas de moi et je ne vais pas me faire que des amis.


Pourquoi je ne peux pas juste dire ? Peut-être parce qu’au-delà de ne pas savoir ce que je fais, je ne crois pas en ce que je fais ? Alors je cherche à le déguiser pour ne surtout pas me dévoiler. Un concept vaut mieux que deux statuettes en argile. Ca m'évite de me retrouver à poil. Allez-y vous, trimballez-vous tout nu au bar d’une salle de concert pour voir. On fait moins les malins. Déjà en culotte c’est compliqué. Même un legging ça laisse encore apparaître des formes. Et si les autres voient ma cellulite et me trouvent moche ? Et s’ils trouvent que je suis gonflée de me montrer comme ça ? Et s’ils me jettent des tomates parce que ce que je fais les dérange ?


Et si tu fermais ta bouche deux minutes et que tu écoutais pour voir ? Qu'est ce que tu entends ? On y arrive les amis. La seule chose réelle qui fait que je ne peux pas dire ce que je fais et qui m'empêche de faire ce pour quoi je suis faite, c'est ma peur. Peur de me laisser vivre. Peur de me retrouver toute seule. Peur de ne pas être assez. Peur de ne pas réussir. Sans savoir ce que signifie réussir. Peur de ne pas plaire. Peur de ne plus être aimée. Peur de ma puissance. Peur de ma sensibilité. Peur de mes ressentis. Peur du vide. Peur des autres. Peur de moi.


"Peur de ne plus entrer dans les cases de la Sécu"

Peur d’être la toute petite chose fragile et vulnérable qui fait semblant d’être un roc solide et indestructible. Peur de vivre sans système de défense, celui qui crée des personnages que j’offre aux autres au lieu de m’offrir moi-même. Peur de ne plus entrer dans les cases de la Sécu. J'ai peur de ne plus être au contrôle des manettes et de ne plus décider de qui être. J'ai peur de changer de chemin et de paysage intérieur.


J'ai peur de faire confiance à la vie. J'ai peur de me faire confiance et je réponds aux peurs des autres qui n'ont pas beaucoup plus confiance que moi en ce qu'ils sont. Alors tous ensemble, nous érigeons des concepts et des idées en plastoque pour cacher le fait qu'en réalité, on ne maîtrise rien du tout, en espérant que ça fera assez bien et qu'on sera assez digne d'être aimé. On se trimballe tous derrière nos titres, nos postes, nos fonctions au lieu de se regarder dans le fond des yeux et d'y lire notre âme. On la vend au diable pour s'acheter une place dans la société alors que notre place est réservée pour toujours par Dieu lui même. Il n'y a qu'à ouvrir le cœur pour se laisser traverser par la vie et accepter que nous ne choisissons pas notre rôle dans cette grande pièce, mais que nous le recevons, chacun étant beau, unique, indispensable à soi et à tous, qu'il s'exprime sur un terrain de pétanque, dans une boulangerie, dans une galerie d'art ou à la maison.


Alors, la prochaine fois qu'on se croise, au lieu de nous planquer derrière nos tentatives de s'inventer une vie, demandons-nous


"Et sinon, que fait-elle de toi, la vie ?"


Bien la bise.


Lili Deca







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